Petit texte, moi qui ait toujours voulu être danseuse.

Un dense brouhaha emplit la salle. Certaines personnes parcourent encore les travées à la recherche d’une place. Quelques vendeurs ambulants tendent des rafraîchissements à ceux qui les paient grassement. Dans la régie, les mécaniciens font les derniers ajustements. L’orchestre se prépare, les musiciens resserrent les cordes de leurs instruments ou les nettoient d’un rapide coup de chiffon. Par une trouée dans les épais rideaux rouges, Madeleine contemple tous ces gens. Elle a le trac, elle a peur de se tromper, d’oublier les pas. Elle rajuste sa robe en tirant sur les fines bretelles de lycra, la lisse d’un revers de main. Elle tâte prudemment ses cheveux tirés en chignon, maintenus par un spray. Tout est en ordre.
Elle retourne à pas de loup dans l’effervescence des coulisses, laissant derrière elle la large scène obscure et les bruits du public. Autour d’elle, une foule de jeunes gens de tous les âges trottine dans tous les sens, se prêtant main forte pour se vêtir ou se coiffer. Elle croise quelques regards aussi angoissés que le sien. D’un signe de tête, elle les encourage à garder confiance en leurs capacités. Elle regagne sa loge d’un pas lent et s’assoie devant le miroir illuminé. Elle poudre une dernière fois son visage, lui donnant un aspect nacré. Dans un étui de feutre bleu, elle prend de longues boucles d’oreilles en diamant et les insère délicatement dans ses lobes percés. L’éclat des pierres précieuses fait ressortir la pâleur de son teint de pêche dans la glace qui lui fait face. Prenant ses chaussons sur la table, elle les enfile en regardant sa camarade devant la coiffeuse à l’opposé de la pièce exiguë. Son justaucorps noir met en valeur sa silhouette élancée et le diadème qui ceint sa tête fait ressortit la blondeur de ses cheveux. Madeleine la complimente. L’autre acquiesce d’un clignement de cils, les sourcils froncés par l’angoisse. Les deux jeunes femmes se taisent, attendant l’instant fatidique où elles devront entrer en scène. Elles entendent le brouhaha assourdi des gens qui s’affairent derrière le panneau de bois. Contrairement à eux, elles sont calmes et figées. L’expérience leur a appris que les habillages de dernière minute ne sont pas la bonne solution.
Le discret tapotement d’un poing sur la porte les sort de leur torpeur. Le chorégraphe passe la tête par l’entrebâillement. Il échange quelques paroles avec Madeleine, lui signale de l’index qu’on l’attend. Elle rejoint en sa compagnie le bout des coulisses, là où elles s’interrompent après un étroit boyau pour rencontrer la surface lisse et sombre de la scène. Parmi le public, le silence s’est fait, chacun a trouvé un siège, est désormais installé confortablement, près à profiter du spectacle. Le pianiste égrène quelques notes qui laissent un vague écho dans la salle.
Madeleine s’élance, bras tendus.
Son corps effectue de lui-même les pas qu’elle a répété durant des heures, dans le studio de danse, les pieds en sang, les muscles tiraillés par l’effort. Son regard se porte au-delà des visages attentifs qui guettent ses mouvements, vers le fond de la salle. Ne pas se laisser intimider par la foule massée sur les serpentins. Lui donner l’impression qu’on danse pour elle, alors qu’on ne danse que pour soi-même.
Arabesque plongé, relevé, pirouette, saut de chat… Les pas se suivent mais ne se ressemblent pas. Elle les exécute avec grâce, prenant le temps et suivant la musique douce qui s’élève de la fosse. UN projecteur illumine ses longs bras blancs évoquant le cou d’un cygne qui prennnent successivement les différentes positions classiques. Ses pieds délicats, chaussés de pointes dures, virevoltent sur la scène avec aisance, suivis par plus de mille regards. Ses yeux verts sont fixes malgré l’aveuglante lumière blanchâtre. Sa jupe, couleur écru, accompagne ses mouvements amples, soulignant la courbe gracile de son corps serré dans son justaucorps brillant. Les diamants pendus à ses oreilles captent l’éclat lumineux, se balançant lentement sous l’impulsion d’une brise invisible.

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