Encore un écrit sans titre, pour changer.

Après qu’il ait ouvert les yeux, l’homme fixa le plafond. Flou, d’abord. Pendant quelques minutes, du blanc, comme une vapeur dense et aveuglante. Puis, de plus en plus net, le plafond et ses imperfections, creux et bosses, taches et toiles d’araignées. Ensuite, une mouche. Il la suivit du regard, jusqu’à l’étagère où elle disparut. Elle revint dans son champs de vision, fit un tour dans la chambre, puis retourna derrière son étagère.
Les sourcils de l’homme s’interrogèrent. Combien de temps vivrait-elle? A quel point cette petite créature noire était-elle éphémère? Elle resterait peut-être encore une vingtaine de jours. Trente, si elle était résistante. Et trente jours et nuits passés à quoi? A tourner autour d’une étagère? Ridicule. Valait-il vraiment la peine d’être vécu, ce mois? Soudainement, Holger se sentit étonnamment proche de l’insecte. Cela faisait exactement trente jours qu’il était là, enfermé dans sa chambre antiseptisée à ne rien faire. Il se trouva brusquement pathétique. Sur ces pensées, ses rides s’apaisèrent, son puissant mal de tête l’obligeant à refermer les yeux et se rendormir.
"Un véritable légume…", pensa-t-il avant de sombrer dans le sommeil.

A une dizaine de kilomètres de là, une jeune femme se réveilla en sursaut. Elle se cramponna à ses draps comme si sa vie en dépendait, tremblante de sueur, avant de, peu à peu, se détendre et se rallonger. Ce même rêve terrible, encore et encore.
Le lit d’hôpital du petit garçon pâle comme la mort roulait, à une effrayante vitesse, toujours croissante, vers la fenêtre. Qui ressemblait plutôt à une baie vitrée, partant du sol pour arriver au plafond, terminant le couloir et donnant sur une grande vallée recouverte d’épais nuages gris. Elle se mettait à courir derrière, chaque nuit, inlassablement, et chaque nuit le chariot brisait la fenêtre et basculait, au moment même ou elle pensait refermer la main dessus. Mais la seule chose que sa main pouvait palper, c’était un éclat de verre. Elle le serrait donc de toutes ses forces, à s’en briser le poing, et se réveillait en larmes.
Car le petit garçon avait existé. Elle l’avait vu, il n‘y a pas si longtemps. Elle pensait qu’il allait mieux, que bientôt il pourrait bouger ses pieds, puis, lentement, marcher, avant de se rétablir complètement. Au lieu de cela, elle avait échoué, l’avait mal diagnostiqué et elle l’avait trouvé, un matin, mort dans son lit.
Cela faisait maintenant deux ans. Elle avait rêvé de lui quasiment toutes les nuits, depuis deux ans.
Julia était faible et le savait. Elle n’aurait pas dû tant s’attacher à ce petit garçon, elle n’aurait pas dû tant compter sur son rétablissement. Et elle ne supportait pas l’idée d’échouer une nouvelle fois et de tuer un autre enfant. Car tous, maintenant, tous les enfants lui rappelaient ses grands yeux noirs, profonds, vifs et brillants; ses mains, si petites et si fragiles, son visage émacié…
Elle était donc retournée étudier. Elle s’était spécialisée en neurologie, et ce jour-ci se tenait la remise des diplômes. Elle avait déjà les résultats, et savait qu’elle était promue.

Elle décida donc de se lever et de se préparer. Comme d'habitude, un bol de café et un peu d’activité saurait chasser les vestiges de son cauchemar.