Je peux essayer ? :3
Je me suis amusée à ressentir certaines choses en fermant les yeux pour éprouver des sensations... En tout cas c'était pas facile, mais je me lance !!
Enfin ! Depuis le temps que j'attendais ce moment ! Je vais pouvoir sortir au dehors, et vivre ! Vivre pleinement, avec joie, et bonne humeur !
Des bruits sourds et saccadés, lourds mais trop léger pour être ceux de Père, trop excités et joyeux pour être ceux de Mère, alors ils n'appartiennent qu'à ma sœur cadette, Fanny. Elle monte des
escaliers, voilà ma conclusion. J'arrive à reconnaître voir même à distinguer le bruit de ses genoux heurtant la
marche supérieure, comme à son habitude.
Je sens le sol vibrer, elle se rapproche de moi, et un clang ! Sonore retentit quand elle fait irruption dans mon domaine, enfonçant la
porte.
—Grand frèèèèèère ! C'est mooooooi !
—Je te reconnais facilement ! Je bredouille en me tortillant sous mes
couvertures.
Le sol craque au contact des pieds de ma sœur, et son souffle qui m'ébouriffe mes cils m'informe qu'elle se tient tout près, très près, j'entends son cœur qui tambourine dans son corps.
—Debout grand frère, tu n'as pas hâte ?
—Si, très hâte.
Je sens de petits doigts m’agripper le bras, et un frisson désagréable, comme j'en ai toujours quand j'ai un contact physique avec quelqu'un sans être prévenu, court le long de mon échine.
Les doigts m'incitent à me redresser, de leur pression qui me serre la peau et me la pince.
Mes mains aveugles repousse les
couvertures, et je pose prudemment le pied sur le sol.
Raide et brute, je sens de petites choses pointues sous mon orteil, des saletés, à n'en pas douter.
—Fanny, tu n'as pas fait le ménage chez moi on dirait.
J'entends un grognement rauque face à moi, et l'haleine de ma sœur me chatouille les narines.
Je suis presque traîné hors de la
pièce. Oui, je sais que j'ai quitté mon enceinte à moi car l'oppression que je ressentait disparaît subitement, et un air nouveau, revigorant, m'atteint. La voix claire de Fanny sonne doucement près de mon oreille, pour m'avertir qu'il y a l'
escalier droit devant.
Je crains toujours la descente, mais un appel irrésistible vers la liberté me bouche les oreilles sur mes inquiétudes de toujours. Fanny m'attrape plus fort sous les aisselles, crispée, ses doigts raides sont plantés tels des bâtons dans ma peau.
Je sais qu'elle descend quelques
marches, car le vent fait des remous près de moi, et un grand vide se forme tout autour.
—Ne t'inquiète pas grand frère, je suis là.
Je sens sa main prendre la mienne, celle délaissée. Je la laisse faire, ses doux doigts mènent mes doigts aveugle sur la
rambarde de l'
escalier. Cette poutre lisse, dure et froide, de la même matière que les marches, et dont les impuretés du bois ressortent plus facilement sous le contact de mes pieds nus.
Je lève un pied, qui se balance un moment dans le vide de la première marche, le vent s'infiltrant entre mes orteils. Puis, c'est la chut au mot véritable, le pied tombe, tombe, tombe ! Et quand il heurte la deuxième
marche, c'est tout le choc qui remonte jusqu'à mon cerveau, me faisant tanguer.
L'épreuve des
escaliers est la pire de toute. Je suis en sueur quand j’atteins le bas, toujours marqué par un
tapis moelleux au départ, puis devenu grattant et insupportablement piquant au fil des années.
L'espace restreint des
escaliers, qui me donne la sensation que mes poumons sont oppressés, s'élargit partout autour de moi, me déstabilisant.
Je sens un monde inconnu s'élever de part et d'autre, les repères ayant disparus, je suis comme un bébé perdu dans l'immensité d'une
praire vaste et noire.
Fanny me tire par le bras, et comme dans un
labyrinthe de sons et d'odeurs diffus, me fait passer du salon à la salle à manger.
—Et le fromage tant promis alors ? Je marmonne.
—Comment as-tu sus que nous n'en mangerions pas grand frère ?
Je relève la tête et inspire profondément.
—La douce odeur du pain de viande, chaude comme ta main, voilà ce que j'ai pus en conclure de notre repas de ce soir... Douce odeur de la viande cuisant à petit feu, mmh !
Fanny glousse, je l'entends obstruer le son de sa voix par sa main, envoyant ses ondes se cogner autre part que sur mes oreilles.
Nous nous dirigeons vers le
jardin, c'est de là que je sens l'air s'engouffrer, et la vie respirer, un air chaud, doux, brillant.
—Tiens grand frère, des chaussures...
—J'en veux pas, je réplique en frémissant.
Je sais qu'elle s'est accroupie à mes pieds pour me les enfiler, mais je refuse. L'air me semble plus froid quand elle ne se tient pas face à moi.
—Pourquoi grand frère ? Tu vas attraper un rhume !
—Fais-moi plaisir, Fanny, je veux sentir l'herbe sous mes pieds, s'il-te-plaît !
Son soupire fugace épouse ma cheville et quand elle se redresse brusquement, mes sens en sont troublés.
—Il fait beau dehors, veinard ! Fais attention à la marche.
Dans mon élan, désire extrême que de me sentir libre, j'avance d'un pas et mon talon claque contre un rebord pointu et puis à nouveau, mon pied se perd dans le vide avant de se blesser contre une forme rugueuse et dure.
—Ça va grand frère ? S'inquiète Fanny (ses cheveux me chatouillent les sourcils).
—Aïe ! Je réponds.
Je m'accroche tout au bras de ma sœur, qui me hisse avec force sur mes pieds, ses muscles se contractant avec effort.
—De la pierre, Fanny, tu aurais pu me prévenir !
Je me tiens à elle, enfin libre. Son souffle chauffe ma nuque, elle a grandit depuis la dernière fois.
Un vent d'été, chaud et amical, m'enveloppe tout entier, et je me laisse bercer par le chant des
oiseaux, le bruit de
vaisselle des voisins à ma droite, les
voitures très loin devant moi et le murmure des
feuilles d'un arbre juste au dessus de ma tête.
Je tends ma main vers le haut. Je sais qu'il y a un
soleil vif aujourd'hui. Je le sens me brûler les racines de mes cheveux, forcer les pores de ma peau, et s'imposer à moi, me brûlant les poumons.
Au dehors, je peux respirer librement sans que rien n'obstrue le passage de l'air.
Quand Fanny me conduit vers l'
arbre, je tends ma main, pour sentir le vent jouer entre mes doigts, s'amusant à s'enrouler et à s'enrouler, encore et encore.
Je suis si surpris, ensuite, de sentir l'
herbe sous mes pieds, que je reste interdis un moment, éprouvant un fantasme hors du commun.
Cette douce sensation, cette caresse légère, ces brins qui se glissent partout, et le chatouillement léger d'un insecte prit au piège.
Je soupire de plaisir, enfouissant mes ongles sous terre, rafraîchissante et douce, caressant de l'orteil la mousse me massant mon talon endolorit.
Fanny me laisse en plan par moment, vacillant comme sur le point de m'effondrer, elle part chercher des choses que je tâte, touche, caresse et retourne entre mes doigts. Des cailloux, de la terre, des feuilles, et, summum du summum, une branche d'arbre.
Rugueuse et pleine d'impuretés, et si différente du parquet de la maison. Cette branche raconte sa vie passée à la belle étoile, ses nervures, ses veines, ses creux que la pluie battante a creusés.
Je goutte de la sève, croque avec plaisir dans une mûre, laissant son jus exploser dans la bouche, et la salive attaquer mes papilles et dissoudre le fruit.
Le soleil enserre chaque parcelle de mon corps, et je transpire à grosse goutte, cette eau salée qui coule le long de mon dos, et je soupire.
—Qu'y-a-t-il mon frère ?
—Je suis aveugle Fanny.
—Oui, mais pourquoi le dire maintenant ? Tu es triste grand frère ? Triste de ne pas voir ?
—Non sœurette, je ne suis pas triste.
—Alors pourquoi soupirer ?
—Je suis au contraire très heureux, très heureux, vraiment très heureux d'être aveugle. On ne naît pas avec toute les qualités, mais je vais te dire quelque chose, (je me penche vers ce que je sens être ma sœur) Même si je suis aveugle, ça ne veut pas dire que je ne dois plus vivre, tout fait en sorte que je compense cet handicape.
—Je ne comprends pas grand frère ! (ses paroles glissent le long de l'arrête de mon nez)
—Ce n'est pas grave, Fanny, il n'y a rien à comprendre, je suis heureux, un point c'est tout.
—D'accord grand frère, d'accord.