Concours mensuel n°7, Avril 2014.

− Dis papy, tu ne nous avais pas dit que tu avais vécu un temps avec Hulk ?
Assis dans son fauteuil, le vieil homme releva la tête de ses mots croisés :
− En effet. Pourquoi cette question ?
− Ben… On se demandait comment ça se fait que si tu avais habité avec lui pendant quelques années, tu ne nous en parles jamais.
Posant son cahier sur ses genoux, il répondit à ses deux petits enfants après avoir réfléchi un long moment dans le silence :
− C'est que nous ne sommes pas en très bons termes. Enfin, c'est plutôt lui qui éprouve une certaine… animosité envers moi. Oui animosité est le mot correct.
− Animaux-quoi ? Il se comporte comme un animal ?
− Non. Disons-le clairement ; s'il me croise, il me casse la gueule.

Par un après-midi grisâtre, dans un appartement spacieux non loin du centre-ville, deux amis s’apprêtaient à célébrer Pâques d'une étrange manière. William avait eu l'idée en passant devant le rayon dédié à cette fête lors de ses courses et il était aussitôt rentré pour la partager avec l'un de ses colocataires : Yvan.
− Quoi de mieux que d'organiser une chasse à l'œuf pour Bruce ?
En effet ce dernier n'a alors que deux grands amours : la physique et le chocolat.
− Pas bête. D'autant plus que son anniversaire est pour bientôt. On peut faire d'une pierre deux coups.
− Oui, enfin… je ne pensais pas à son anniversaire, mais plutôt au premier avril qu'on n’a pas fêté ici. On fait une chasse à l'œuf, mais spéciale en quelque sorte.
Rapidement le concept fut expliqué et les deux amis se mirent à l'œuvre. En découpant délicatement les enveloppes d'aluminium protectrices des œufs, ils purent ainsi enlever le précieux chocolat pour le remplacer par du plâtre qui une fois durcie ne laissa pas transparaître de différence notable. Une demi-journée après que le premier faux œuf fut créé, le dernier venait de trouver ses congénères tandis que les deux provocateurs rejoignirent Bruce, leur troisième colocataire, qui était rentrée à l'instant.
Pendant la soirée, ils évoquèrent son prochain anniversaire, la fête qu'ils organiseraient ainsi que son goût pour le cacao et les cloches qui semaient des œufs pour retrouver leur chemin.
Cette promesse de chasse au trésor empêchèrent les garçons de s'endormir rapidement cette nui là. Le physicien, alléché, cherchait et classait les meilleures cachettes que recelait l'appartement et la quantité de chocolat que chacune d'entre elles pouvait contenir. Tandis que les deux étudiants imaginaient la réaction de leur ami lorsqu'il s’apercevrait de la substitution et de la leur, hilare, car ils étaient sûrs de ne pouvoir se retenir à ce moment-là.
Le lendemain, ils profitèrent de leur demi-journée de libre et de l'absence de leur colocataire pour dissimuler les sosies et aussi créer la surprise finale : un gigantesque œuf de Pâques réalisé avec tout le chocolat extrait la veille. En fin de matinée, ils se dépêchèrent de ranger les traces de leur méfait et partirent en cours.
Ne pouvant attendre, Bruce n'avait pas hésité à écraser la pédale d'accélérateur de sa voiture pour gagner de précieuses secondes en compagnie de son chocolat. Entrant en trombe dans son logement, il trouva William sirotant tranquillement une bière dans le salon et qui lui expliqua les conditions de la fameuse chasse au trésor. Prenant à peine le temps de jeter dans un coin son pardessus et son sac, il s'empara du saladier de fruit qu'il vida instantanément de son contenu pour pouvoir y déposer les trouvailles issues de son braconnage de cacao. Sans se rendre compte de la supercherie, il remplit rapidement le récipient sous les yeux émerveillés de son colocataire qui s'étonnait de l'absence de Yvan.
Aucun des deux ne pouvait se douter que malgré toute sa volonté pour assister à ce retour en enfance et notamment à la révélation ultime, l'étudiant en droit était retenu prisonnier dans un bus dont les portes refusaient catégoriquement de s'ouvrir.

− J'ai appris par la suite que je devais bénir ce car que j'eusse maudit des milliers de fois pour son problème technique. Et oui, après que Bruce ait ramassé la totalité des œufs, William l'avait encouragé à croquer à pleines dents. Quelle erreur…
Le regard perdu dans ses souvenirs, Yvan obligea ses petits enfants à le faire revenir à la réalité de nos jours :
− Qu'est ce qu'il s'est passé ensuite ?
− Ah ! Euh… Pas grand-chose de nouveau malheureusement. La bouche pleine de plâtre il s'est rapidement énervé devant William, écroulé de rire selon ses dires. En un instant il s'était transformé en monstre intenable et l'avait écrasé sous son pied avant de réduire en miettes la moitié de notre appartement. Il serait parti à ma recherche pendant une semaine, mais dès que j'ai appris ce qu'il s'était passé, je me suis vite réfugié ailleurs. Aussi vous comprenez maintenant pourquoi je n'en parle pas trop.