Couleurs.

Ombre pensée, fleur pâlie, couleur sans fadeur.
Voile brûlant, lumière absente ou là,
Peinture.
Tu es là, près de moi, et je sens que tu m’observe. Un coup de pinceau.
Jaillissement d’encre.
Tu lèves tes yeux vers moi, les reposes sur la couleur, et tu peins, concentrée.
Je me contente de ne pas bouger, les yeux fixes sur tes pétales violettes, je cligne des yeux quand la lumière m’accable, et j’attends.
Minutes passées, heures parties, peinture étalée.
-J’ai terminé.
Je me lève, un peu chancelante, des fourmis dans les jambes.
-Tu veux voir ?
Oui je veux voir. Je marche jusqu’à toi, le cœur battant. Je ne dis rien ; je regarde.
Des tâches sans lignes, rien que des flaques d’encre noire et blanche. Et puis au milieu de ces arabesques sans raison, je me reconnais. Je reconnais ma noirceur et ma virginité ; est-ce comme ça qu’on me voit ? Des ronds de noir et de blanc, une vie tâchée d’encre sans couleurs ?
-C’est moi, je murmure.
Tu ne dis rien, tu me laisse regarder, béate, l’expression de moi. Et puis doucement, tout doucement, tu me tends ton pinceau et tu recule. Tu me laisse faire.
Je ne suis pas sure de savoir ; mais je ne veux pas te décevoir. Alors je commence.
Un jaillissement de rouge par là, une tâche jaune d’ici.
Des lignes brunes, je relie les couleurs, les encres et les vies, je peins, le souffle court, le cœur battant.
Tu m’observes toujours.
J’éclate la toile de peinture vivante, imagination sans fin, couleurs immenses, tâches noires et bleues.
C’est ça, créer ?
C’est ça, peindre ?
Je sens que je vis. Le pinceau glisse sans résistance sur la feuille, suintement feutré et essence dorée.
La couleur s’étale devant moi en silence, et puis l’éveil de mes sens.
Peinture.
Ce tremblement, incertitude, naïveté et insouciance, mécanique des gestes, agir sans contrôle, juste peindre. Peindre un rêve qui file, une pensée qui jaillit, un souvenir qui revient, une envie qui stagne.
C’est ça, vivre ? Je lève vers toi un regard brûlant. Tu me souris, et enfin j’ose. Je te demande ton nom ; tu sembles un peu surprise, c’est vrai que c’et la troisième année que je suis dans ta classe. Tu me réponds finalement.
Violette.
Quel beau nom ! Prolongement de ta couleur, il te représente entière, cheveux de nuit et couleur de temps.
-Tu sais, dis-tu. Tu devrais prendre des cours de peinture, c’est très joli ce que tu fais.
Je jette un regard éberlué à ma toile. Juste des tâches sans réflexion. Ce n’est pas joli, ça n’a aucun sens. Tu te moques de moi ? Je vois bien à ton sourire que non, tu es sincère. Et ça me touche du plus profond de moi ; je ne peux empêcher mes joues de rosir.
-Merci, je murmure.
Tu me caresse du regard, et t’éloignes. Je crois que tu me dis que je peux rester si je veux, que je peux continuer à peindre. Je ne veux pas. A cet instant précis, à vrai dire, je pensais à Drew. Est-ce que lui aussi, avait réussi à assouvir son envie ? J’espère pour lui. Je me sens si bien, moi ! Je regrette presque ma mort future. Bah, en quatre mois j’aurai bien le temps de peindre, pour rien au monde je ne décalerai l’heure de ma fin. Je ne veux pas finir oubliée de tous, jetée dans un trou pour avoir fait mon temps, comme on jette un mégot de clope quand il a servi. Je veux mourir alors qu’on a encore besoin de me fumer, je veux finir regrettée. Je veux que vous vous arrachiez les cheveux en me découvrant éclatée au sol. Je veux marquer vos esprits. Je veux mourir ma vie.
Ce n’est pas aussi compliqué que vous le pensez, je veux juste finir avant qu’on ai le temps de me consumer entièrement.
Ce n’est pas un suicide, non, je ne fui pas mon existence. Disons qu’en sautant de ce toit, je ne vivrai pas mon rêve, je le mourrai.
Ah, que j’ai hâte ! Dans quatre mois j’aurai 18 ans, et dans quatre mois je serai morte.

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