C'est quoi la vie ?

La vie est douloureuse. La mort l'est moins. A partir du moment où vous en avez consience, j'ignore quelles raisons vous avez de la craindre. La vie est traître et infidèle : lorsqu'elle vous sourit ce n'est pas par mérite ou par gentillesse, c'est simplement par fierté d'avoir préparé le sale coup qui va bientôt vous martyriser comme il se doit. Elle vous retourne d'un coup sec et vous ratatine comme une crêpe en vous assénant de claques empoisonnées. Et quand elle vous serre dans ses bras, c'est uniquement dans l'attente de voir vos boyaux vous sortir par la bouche. Comme le dentifrice qui est craché par son tube quand vous en écraser le corps.
Je ne comprends pas que tant de gens puissent l'aimer. Personnellement, je n'ai jamais réussi à supporter ça. C'est un sentiment très étrange qui me procure un mal-être indéfinissable, je sens la vie en moi et j'ai envie de lui dire « va-t-en !». Mais on n'utilise pas le même langage. La vie me ronge, me gratte, me démange, et quand je me griffe avec l'intention qu'elle s'en aille, elle ne fait que ressurgir davantage. Vous savez, comme une piqûre de moustique que vous essayez d'ignorer mais qui vous appelle à fauter. Et même quand on essaye de la faire exploser, on se rend compte qu'elle n'est composée que de pus. Quoique l'on fasse, elle nous a bien eu. Ah ça non, la vie, je ne peux pas supporter. Et d'ailleurs comment le pourrais-je ? Vivre signifie cohabiter avec d'autres hommes, et ça aussi je déteste : l'homme. Il est comme la vie, à la seule différence que lui s'efforce encore de croire qu'au fond, il n'est pas si mauvais qu'il en a l'air. Ca le rend tellement plus méprisable encore. J'ai donc déjà une excellente raison de me dégoûter de moi-même. Rien que l'idée de faire partie de cette sous-race me répugne. Vous pourrez me dire tout ce que vous voudrez, je nierai à jamais que moi aussi, je suis un homme. Car je n'en suis pas un, non. Moi je suis différente. Et je sais qu'il y en a d'autres comme moi, j'en ai déjà vu. D'ailleurs, quand j'en reconnais, je leur donne le nom d'Ermite. Le problème est qu'Ils sont si rares et surtout si mal à l'aise que bien souvent Ils s'en sont allés vers d'autres contrées, plus reposantes. C'est tout le bien que je leur souhaite et d'un côté, j'envie leur audace. Oh, j'ai essayé moi aussi bien sûr, de quitter ce monde : sans succès. Je pense en fait qu'en moi, quelque part au fin fond de mes entrailles nouées, il doit y avoir l'envie de terminer en cette vie un objectif précis. J'ignore encore de quoi il retourne mais c'est uniquement lorsque j'aurais rempli cette mission que je serais libérée de cet enfer qui me tenaille. Autrement croyez bien que je ne serais déjà plus parmi vous depuis bien longtemps (ce qui ne serait pas pour vous déplaire).
J'ai toujours cette sensation de m'être égarée, de m'être trompée de planète, et je me retrouve alors à me balader bien malgré moi dans un monde illogique et immature, un monde devenu médiocre et qui m'est totalement incompréhensible, avec des comportements qui me semblent dénués de sens. Avec des lois inutiles qui vous éloignent chaque jour de l'innocence. Des sentiments quasi inexistants ou dévalorisés, des priorités qui n'ont pas lieu d'être et avec une injustice qui fait régner les plus faux et les plus malhonnêtes. Vivre dans un univers qui court à l'encontre de tous vos principes, ce n'est plus vivre, c'est mourir tous les jours. Et bien moi, je meurs à petits feux. Et je pense qu'obliger quelqu'un à se tuer, c'est un meurtre. Ainsi, j'accuse la société de commettre quotidiennement ce crime dont je suis la victime, moi et tant d'autres. Mais qu'est-ce que mes plaintes peuvent bien changer ? Je ne suis qu'une consciente parmi des milliards d'idiots et ce fait seul suffit à me décourager. Quand vous êtes le seul lucide face à une bande d'irréfléchis, vous devenez vite l'imbécile du village.
Parfois je donnerais n'importe quoi pour me débarrasser de ma conscience. Elle est trop lourde à porter sur mes petites épaules. Je croule sous son poids et elle me force à ramper. Je jongle sans cesse entre le désir d'être une parfaite ignorante mais une ignorante heureuse et le désir de garder mes yeux grands ouverts et d'en être suicidairement dépressive. Je n'ai de cesse d'hésiter, pourtant mon choix a été fait il y a bien longtemps. Seulement, ce n'est qu'une fois la décision prise que l'on se demande si finalement la première option n'était pas la plus bénéfique. Je suis persuadée que ce sont vos choix qui font de vous ce que vous êtes, et non vos qualités et vos défauts. Ceux-là ne sont que le résultat de votre éducation, aussi moche qu'elle soit.
Enfin. Je ne le regrette pas. Je relativise les nombreux mauvais côtés. Je me dis que mourir incomprise de ma génération, c'est mourir dans le droit chemin. Il n'y a que de cette manière que je serais sûre d'être une personne à part, plus avancée, plus perspicace que toutes ces autres bêtes barbares. Il n'y a que de cette manière que je pourrais affirmer sans doute aucun dans mon esprit être partisante de ces Ermites.
C'est tout de même étrange ce besoin que les vivants ont de vouloir faire partie d'un groupe. Ce même groupe qui réunit bien souvent les gens par idéologies. Comme si c'était le fait d'avoir un appui sur nos pensées qui les rendaient plausibles. Et c'est vrai. C'est uniquement parce que je sais qu'il y a d'autres cas comme moi que je ne crois pas être aliénée. Car alors, si j'étais la seule, peut-être aurais-je fini par me remettre en question, par me dire que c'est moi qui suis atteinte de folie ou de déséquilibre mental. Après tout pourquoi pas, ça reste possible. Limite, pouvoir mettre un mot sur mon incapacité et la définir par le délire, ça me permettrait de me dire que tout n'est pas perdu pour l'humanité. Que ma mort ne serait pas vaine puisqu'elle éliminerait une erreur, comme vous enlevez un fruit moisi de son plat pour éviter que sa pourriture ne se contamine chez les autres. Mais que je sache, et ce jusqu'à preuve du contraire, ce n'est pas le cas pour moi, ou pas encore. Et donc pendant ce temps, je suis comme une vache à l'abattoir qui sent qu'elle va y passer, je ne fais plus rien. Je suis plongée dans l'inertie, dans l'attente que quelque chose se produise mais n'aidant en rien à ce que cette chose se manifeste. Je n'en ai ni l'envie, ni la force. Comme une fantôme errant je ne suis plus qu'un spectre à la silhouette difforme qui se contente d'être là, divaguant sans but dans un monde qui ne lui appartient pas. C'est dur à vivre mais enfin, c'est pour mon bien et c'est surtout pour celui des autres. Mieux vaut que je m'enferme dans ma cave de solitaire plutôt que j'aille faire la révolution partout autour de moi. Je sais d'avance que c'est un combat qui ne livrera aucune récompense. Et puis, je sous-estime sans doute la gravité de la haine que je porte pour les hommes. Qui sait jusqu'où je serai capable d'aller pour prouver que je ne suis pas folle et que j'ai raison ? Sûrement jusqu'à la folie et la déraison. Il y a en moi un démon qui sommeille et qui ronronnerait comme un chat si je le caressais. Lui par contre, je sais à quel point il est dominant alors, afin d'éviter toute apocalypse, j'ai préféré le faire taire comme vous muselez votre chien pour éviter qu'il ne morde le premier passant.