Voici une description du vers contemporain par
Christian Bulting.
Christian Bulting est professeur, fondateur de revues poétiques, auteur de sept livres de poésie et de plusieurs anthologies. Il collabore à plusieurs revues littéraires.
Ce sont des extraits du guide pratique : j'écris des poèmes. Editions écrire aujourd'hui.
Pour les poètes du site :
C'est un peu long mais lisez le, franchement c'est nécessaire. Personnellement, cela m'a permit de m'éclairer efficacement sur ce qu'est la poésie en vers libre. J'espère que cela vous aidera aussi.
LE VERS CONTEMPORAIN
Ouvrage de poésie en vers : telle est la définition la plus simple du poème.
Le vers se déploie sur une ligne, et le passage à la ligne marque le début d'un nouveau vers. Le vers constitue l'unité de base de la poésie. Les vers seront ensuite distribués en strophes de deux, trois, quatre... ou resterons accolés ensemble d'un seul tenant.
Ce qui différencie à l'oeil un poème d'une prose est ce passage, plus ou moins rapide selon la longueur des vers, à la ligne. A l'oreille la pause de la voix en fin de vers indique qu'on a à faire à un poème. Ces distinctions typographiques et auditives sont parfois les seuls éléments qui permettent de distinguer un poème d'une prose, car il est parfois des proses très poétiques et des poèmes très prosaïques - sans parler de la question de poème en prose que nous examinerons plus loin.
Le poème est donc une série de vers :
- de forme fixe (sonnet, rondeau, balade...) ou non (nombre de vers variables)
- réguliers (nombre de syllabes identiques d'un vers à l'autre) ou non (nombre irréguliers de syllabes)
- rimés ou non. Écrire des poèmes n'est pas obligatoirement écrire en vers réguliers et rimés,
dans une forme fixe. Si on le fait, c'est que l'on a choisi une manière, parmi d'autres, d'écrire des vers. Mais on peut s'exprimer par d'autres vers que le vers classique. Celui-ci est peu utilisé par les poètes contemporains. L'art poétique n'est pas figé une fois pour toutes, pour l'éternité. Il a une histoire et ses formes changent. La manière dont la plupart des poètes écrivent des vers aujourd'hui est le résultat d'une évolution lente et logique...
Le vers libre apparaît vers 1886 et se veut libérateur. Il répond à une nécessité profonde : plutôt que d'adapter les mouvements de l'esprit à une forme préétablie, c'est le rythme du vers qui s'adaptera aux mouvements de l'esprit, qui en épousera sur le papier les harmonies, les continuités, les variations, les silences (blancs). Pour les grands poètes du début du XXe siècle que sont Apollinaire, Cendrars, Reverdy, le vers libre symbolise la modernité :
- Citation :
- Pardonnez-moi mon ignorance
Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu
des vers
Je ne sais plus rien et j'aime uniquement
Les fleurs à mes yeux redeviennent des flammes
Je médite divinement
Et je souris des êtres que je n'ai pas créés
Mais si le temps venait où l'ombre enfin solide
Se multipliait en réalisant la diversité formelle de
mon amour
J'admirerais mon ouvrage.
(Alcools, Guillaume Apollinaire, 1913)
...
L'erreur serait de croire que le vers libre n'est pas un vers, qu'il est de la prose saucissonnée, qu'il n'est porteur d'aucun sens, d'aucun rythme. La coupe en fin de vers - même et surtout si le vers est très court - doit répondre à une nécessité. Elle doit s'accorder avec l'intention profonde du texte, avec son rythme - même s'il s'agit d'une rupture voulue.
La difficulté du vers libre est donc de continuer à être un vers, sans la régularité syllabique ni la rime.
Il faut donc remplacer ces deux outils par d'autres :
- La rime intérieure
- L'assonance
- L'allitération
- Les répétitions de mots, d'expressions
- Les paronomases
- Le rythme
- Le sens
Le tout doit concourir à faire du vers une unité à la fois agréable et signifiante.