Suite à un poème de Nilo nous avons parlé de la "Divine comédie", l’œuvre fondatrice de la poésie Italienne. C'est une épopée, le récit d'une vision durant laquelle Dante, transporté dans le monde surnaturel enseigné par la théologie du Moyen âge, est admis à contempler les supplices des damnés dans l'Enfer, l'état des âmes dans le Purgatoire, les joies célestes des justes dans le Paradis. Cette œuvre est donc composée de trois tomes : L'Enfer, le Purgatoire, Le Paradis.
Les trois tomes sont disponibles en pdf
ICI. J'aime particulièrement "L'Enfer". Voici le début :
CHANT IQuand j'étais au milieu du cours de notre vie,
je me vis entouré d'une sombre forêt,
après avoir perdu le chemin le plus droit.
Ah ! qu'elle est difficile à peindre avec des mots,
cette forêt sauvage, impénétrable et drue
dont le seul souvenir renouvelle ma peur !
À peine si la mort me semble plus amère.
Mais, pour traiter du bien qui m'y fut découvert,
il me faut raconter les choses que j'ai vues.
Je ne sais plus comment je m'y suis engagé,
car j'étais engourdi par un pesant sommeil,
lorsque je m'écartai du sentier véritable.
Je sais que j'ai gagné le pied d'une colline
à laquelle semblait aboutir ce vallon
dont l'aspect remplissait mon âme de terreur,
et, regardant en haut, j'avais vu que sa pente
resplendissait déjà sous les rayons de l'astre
qui montre en tout endroit la route au voyageur ;
et je sentis alors s'apaiser la tempête
qui n'avait pas eu cesse aux abîmes du cœur
pendant l'horrible nuit que j'avais traversée6.
Et comme à bout de souffle on arrive parfois
à s'échapper des flots et, retrouvant la terre,
on jette un long regard sur l'onde et ses dangers,
telle mon âme alors, encor tout éperdue,
se retourna pour voir le sinistre passage
où nul homme n'a pu se maintenir vivant.
Puis, ayant reposé quelque peu mon corps las,
je partis, en longeant cette côte déserte
et en gardant toujours mon pied ferme plus bas.
Mais voici que soudain, au pied de la montée,
m'apparut un guépard agile, au flanc étroit
et couvert d'un pelage aux couleurs bigarrées.
Il restait devant moi, sans vouloir déguerpir,
et il avait si bien occupé le passage,
que j'étais sur le point de rebrousser chemin.
C'était l'heure où le jour commence sa carrière,
et le soleil montait parmi les mêmes astres
qui l'escortaient jadis, lorsque l'Amour divin
les mit en mouvement pour la première fois ;
et je croyais trouver des raisons d'espérer,
sans trop craindre le fauve à la belle fourrure,
dans l'heure matinale et la belle saison ;
mais je fus, malgré tout, encor plus effrayé
à l'aspect d'un lion qui surgit tout à coup.
On eût dit que la bête avançait droit sur moi,
avec la rage au ventre et la crinière au vent,
si bien qu'il me semblait que l'air en frémissait.
Une louve survint ensuite, que la faim
paraissait travailler au plus creux de son flanc
et par qui tant de gens ont connu la détresse.
La terreur qu'inspirait l'aspect de cette bête
me glaça jusqu'au fond des entrailles, si bien
que je perdis l'espoir d'arriver jusqu'en haut.
Et comme le joueur que transportait tantôt
l'espoir joyeux du gain ne fait que s'affliger,
se plaint et se morfond, si la chance a tourné,
tel me fit devenir cette bête inquiète
qui gagnait du terrain et, insensiblement,
me refoulait vers l'ombre où le soleil se tait.
Tandis que je glissais ainsi vers les abîmes,
devant mes yeux quelqu'un apparut tout à coup,
qui, l'air mal assuré, sortait d'un long silence.
...